Comme un bon vieux 45 tours - perspectives.zone - intelligences plurielles - Manon Castonguay

Comme un bon vieux 45 tours

Bombardée d’éclaboussures multisources infectées de l’aura du covid-19, l’image d’un 45 tours s’épivardant sur un tourne-disque m’a transpercé l’attention.

L’ancêtre

Ces disques de vinyles, lointains ancêtres de nos disques compacts, maintenant revampés en fichiers audio téléchargeables, représentaient l’accessibilité de la musique dans nos familles d’antan. Face A une pièce, face B une autre. Un seul disque, 2 chances d’apprécier l’artiste. Doux souvenir de ma mi-vie.

La toune commence

En périphérie du 45 tours, version covid-19, là où le vinyle a la circonférence la plus abondamment gravée, il y a l’information, la désinformation et la dé-désinformation. Il y a des faits, travestis ou non; il y a des émotions, garochées ou ravalées; il y a des détresses retenues et délestées; il y a des guerres d’absences et d’indifférences; il y a des combats qui ne se gagnent que dans la mort, d’autres qui ne se perdent que dans la mort aussi. La vie goûte mal ce qu’elle inspirait avant ce délire.

Cas positifs, hospitalisation, soins intensifs, délestage, personnel soignant à bout de souffle.  Faillites d’entreprises, faillites de familles et faillites humaines. Morts et séquelles. Isolement, désarroi, angoisse, misère et désespoir. Vaccin, complot, vérités et mensonges. À la télévision, à la radio, dans les journaux. Sur le fil de nouvelles Facebook, sur YouTube, sur Twitter. De la bouche de mon fils, de ma mère, d’une amie, d’un inconnu, dans mes dialogues intérieurs. Incontestable omniprésence. Partout. Et le tourne-disque continue de tourner.

L’effet centrifuge ressenti sur le 45 tours qui s’étourdit traduit inlassablement cette tendance à nous éloigner du centre de rotation. Nous sommes éjectés de notre propre trajectoire avec cette généreuse et incidieuse progagande à 10 millions de dollars par mois.

La toune continue

Et puis, après les premiers couplets, pendant le refrain, c’est déjà un peu plus calme. Tout s’active de partout encore, mais le mouvement généré est plus concentré. Nous sommes moins éjectés de notre trajectoire, mais encore déstabilisés de notre mélodie. Les nouvelles de toutes provenances empestent autant, mais l’inconfort est moins tenace. Alors qu’en périphérie le tapis nous était extirpé sous les pieds, là il nous tiraille les souliers. L’inconfort est entier, juste un peu moins insistant. Juste assez pour nous bousculer la trajectoire. Encore.

Le tourne-disque a toujours su révéler les mélodies et les mots d’un 45 tours parce qu’il en décode savamment les sillons. Pour la majorité des humains, notre tourne-disque est bousillé. Reste seulement l’éjection ou l’étourdissement inspirés par la peur et la culpabilité, toujours aussi efficaces.

Tant que le disque tournera, aucun repos, aucune stabilité. Que l’étourdissement et l’engourdissement d’un mouvement ridiculement incessant. Et en ce moment, plus il tourne, plus sa musique hypnotise et paralyse.

Et si?

Et si l’on fuyait les zones gravées du microsillon pour rejoindre le calme et la paix de son point central? Et si l’on osait l’œil du vinyle, cet espace vide et libre qui ne génère aucun mouvement, que l’immobilité et le silence? Le cyclone prend bien une pause de ses propres violences dans son œil?

Je parie que si l’on s’y enracine suffisamment longtemps, le goût de s’épivarder en périphérie s’estompera.