Deuil en cours - perspectives.zone - Manon Castonguay

Deuil en cours

Hervé, mon père, Janvier 2014

Encore lui. Toujours lui. LE foutu mot. Cancer. Une merde.

C’est difficile d’être à 500km et d’entendre la voix de mon père perdre sa vie. Quoi que ce serait pas plus simple si j’étais à deux pas. Juste moins de culpabilité peut-être.

Enfant, je la craignais sa voix. Elle était forte, directive, impérative. La tendresse venait dans les silences, pas de la voix. Mais là c’est l’impuissance qui prolifère dans les silences.

Quoi dire, quoi faire, quoi penser, quoi ressentir: en boucle les questions. En boucle la colère.

J’ai compris quelque chose ce soir: C’est une fausse crinière de lion que mon père a portée toute sa vie. Sauf derrière le volant de son 10 roues. Là elle était vraie. Assumée. Symbole de puissance. La Maîtrise en fait.

Mais la fausse, c’est celle de l’homme qui a eu peur de vivre, de ressentir, d’assumer. Je l’ai sentie ce soir comme un gant trop bien ajusté. Effet vieille pantoufle qui pue. Trop confortable pour y renoncer, trop vieille pour être vraiment utile sinon qu’à conforter un confort qui n’a jamais été.

La même foutue impuissance me monte dans la gorge. Et dans les yeux. J’y peux toujours rien. Sinon que d’assumer consciemment que je ne suis pas celle qui a les mains sur le volant. Ni le pied sur le gaz. Ni les fesses sur le siège. Tabarnak.

Pareil, 3 juin 2014

Chacun-e à son expérience avec l’amour, et son absence aussi. Dire Je t’aime n’est pas facile pour tout le monde. J’ai jamais vraiment tout-à-fait compris pourquoi. C’est simple pourtant non?? J-E–T-‘-A-I-M-E!

Des lèvres de mon père, ces mots n’ont jamais été prononcés. Et j’ai toujours su que mon père ne savait pas mentir. Alors j’ai grandi en me demandant si mon père avait malgré tout un peu d’amour pour moi. Parfois j’y croyais, parfois je voulais y croire. Et parfois j’en doutais. Beaucoup.

Plus tard j’ai compris que les mots n’étaient pas les seuls messagers du cœur et de l’amour. Mais malgré tout, mon cœur de petite fille espérait ces mots de la bouche de mon tout premier héros.

Allongé sur le lit qui allait être son dernier, mon père répondait au Je t’aime de ma mère en disant: ‘Pareil‘. Il troquait deux syllabes pour deux autres, mais là, elles portaient la même musique. Celle que l’on exprime avant qu’il soit trop tard, celle qu’on dit ne sachant plus si demain existera.

Et c’est en l’entendant prononcer ces deux syllabes que j’ai réalisé que l’amour n’est pas circonscrit dans un Je t’aime. Parce que l’affection sincère et la profonde tendresse sont si grandes qu’elles ne sauvaient être contenues. Ni dans si peu de lettres, ni dans trop peu de syllabes. Parce que c’est dans le silence entre ces sons que tout se passe, que tout se joue, là où l’éternité sait exister pour vrai.

Pareil papa. Pareil. Beaucoup.

Mon lion rugira bientôt d’ailleurs, 4 juin 2014

Mon père a renoncé à un dernier traitement disponible pour ralentir la progression du cancer qui le gruge. En plus de la prostate, ses os sont maintenant sérieusement atteints. Il a renoncé à cette chimiothérapie qui risquait d’écourter sa vie. Un choix qui n’en était pas vraiment un quoi.

Malgré le souhait de ‘rallonger son contrat de vie de 5 ans’, la douleur s’est installée de plus en plus dans son corps. Il a choisi d’aller dans une maison de soins palliatifs, toujours dans l’espoir de ‘rallonger sa run’.

Ses jambes le supportent à peine maintenant. Son corps est très fatigué, usé à corde comme il dit. Toute sa vie, il a physiquement tout donné sans jamais croire les limites qui s’imposaient à lui. Oui il est fort mon père. Mais la vie se transforme constamment. C’est la seule certitude qui soit…

Sa vie l’amène tranquillement ailleurs, cet ‘ailleurs’ d’où personne ne revient. Et je sais que lorsque ses jambes n’auront plus la force de le porter plus loin, ses ailes auront poussé suffisamment pour l’amener partout où il choisira d’aller. Plus de frontières.

Et je me tiendrai là, juste à côté de ce corps dont il n’aura plus jamais besoin.

Je t’aime papa.

Getting ready to go, 10 juin 2014

From my heart to yours Papa:
Know that when your legs get too tired to take you where you want to go, your wings will have grown strong enough to take you where ever you want to be. You’ll be the best flying lion there ever was. MY flying lion.
I love you. Please know that.
M

Hommage à Hervé, 18 juin 2014

Comment résumer toute une vie en un seul texte? Et bien en faisant comme toi, en allant à l’essentiel, sans flafla.

Hervé, un fils, un frère, un ami, un collègue, un beau-frère, un oncle. Ensuite aussi un fiancé, pour devenir un mari, un père, un beau-père et un papi.

Tu as été aimé, craint, apprécié, redouté, respecté et aimé encore. Tu as définitivement touché nos vies de façon unique.

Au-delà de tous ces rôles, tu étais d’abord et avant tout un homme fier. Très fier. Tu as toujours fait les choses à ta façon, jusqu’au bout, coûte que coûte.

Depuis toujours, tu as apprécié et recherché la présence des gens autour de toi. C’était très important pour toi. Tu es certainement heureux de nous voir tous ici ensemble pour toi, une toute dernière fois.

Tu n’as jamais fait les choses à moitié, ni dans la vie, ni sur la route de ton dernier voyage. Même si ton corps te lâchait peu à peu, tu as toujours choisi de regarder droit devant, malgré la peine de devoir partir sans nous tous.

Avec toute notre tendresse et notre affection, Bon voyage Hervé. Garde une place pour chacun de nous, tout près de toi. Comme tu disais: On va se revoir. Sois heureux où tu es, c’est un tout nouveau départ pour toi. Tu avais hâte de repartir le compteur à zéro, voilà tu y es. Veille sur nous et sache que l’amour que nous avons partagé ne mourra jamais.

Au revoir Hervé.

1

Un an. Un an déjà que tu as reparti ton compteur à zéro. Je le réalise à peine, même encore aujourd’hui.

J’oublierai jamais le soir où tu nous as tous demandé de s’approcher de toi, parce que tu ne supportais pas la distance entre toi et chacun de nous. Peut-être savais-tu que ce moment allait être le dernier que tu allais savourer avec nous tous?

Je me rappelle la brillance de tes yeux, je revois ton sourire infini, je me rappelle le silence puissant qui soutenait ce moment d’éternité. Je t’avais rarement vu si pleinement heureux. Oui, un lion heureux, ça se peut.

Je suis fière d’avoir tenu la promesse que je t’avais faite. Jusqu’au bout. Et j’aurai eu le privilège de te dire Je t’aime plus souvent en 5 semaines qu’en plus de 40 ans. Un magnifique héritage.

Avant que les médicaments mutilent ta conscience, tu avais dit : ‘Je suis content. Je suis en paix.’ Tu as bavé plus que ta part dans cette vie-là mais après presque 80 ans, ces mots ont été la plus grandiose conclusion qui soit.

Je t’écouterais encore pendant des heures raconter comment c’était la vie dans tes camps de bûcherons. Ou comment tu as vu le bout de ta force à garocher des billots de bois dans la face du bon dieu. Ou comment tu l’aimes et que tu l’aimeras toujours ma mère. Ou comment tu reculais ton camion entre une bâtisse et un précipice. Ou comment tu as réparé ton camion avec une vieille broche quelque part sur la 20 entre Québec et Rivière-du-Loup.

Et j’écouterais encore les silences complices que nous partagions à corder du bois ensemble ou à ‘rider’ dans ton camion. Et j’irais encore les chercher ces pêches dont tu avais envie. Et je le relaverais ton dentier. Et je te regarderais dormir encore. J’en profiterais certainement pour te souhaiter Bonne nuit encore une fois…

Quand ton absence est trop lourde, je repense à toutes ces blagues que tu faisais durant ces derniers moments de ta vie. Tu aurais pu choisir la rancœur, tu aurais pu choisir la colère, et même la rage, tu aurais pu choisir la tristesse aussi. Mais tu as choisi d’apprécier chaque instant pour ce qu’il était, l’un des précieux derniers.

Je veux te redire que je t’aime. Je prononcerai toujours ce verbe au présent pour toi.
Toujours.

2

J’ai rien écrit au 2e anniversaire de ton départ. J’étais prise dans la colère je crois… J’avais pas le goût de passer plus de temps à penser à toi, j’en passais déjà beaucoup. L’absence ça gruge. Et la tienne encore plus.

3

Trois ans depuis que ton compteur a été remis à zéro. Déjà. Est-ce que c’est long trois ans pour toi? Des fois j’ai l’impression que c’était hier, pis des fois, tu me manques gros…

Je me demande souvent comment tu vas. À chaque fois, tu me réponds. ‘Je vais bien ma fille.’ Je suis toujours contente de savoir ça. Désolée si je te repose la question souvent; on dirait que ça me rassure de t’entendre répéter ta réponse. Juste pour être certaine…

De temps en temps, j’écoute le dernier moteur de truck que tu as entendu. Je l’avais enregistré sur mon téléphone. Je l’ai toujours avec moi. Ça me projette à chaque fois à cet instant magique où tu t’es approché de ce camion avec tellement de plaisir et de gratitude sur le visage, comme un enfant devant un cadeau inespéré et démesuré.

Je savais juste pas à ce moment-là que ça allait être la dernière fois que tes jambes allaient te tenir debout. Les dernières fois ont rarement la prévoyance de s’annoncer. Tu serais jamais resté assis devant un si beau truck n’est-ce pas? Ta passion s’est mélangée à ta fierté et tu as repoussé le difficile pour graver ce vaillant bout d’histoire. Comme tu l’as fait plus souvent qu’à ton tour dans ta vie passée.

Le son d’un moteur diesel est une pure symphonie à mon âme depuis un moment que je suis tentée d’appeler ‘toujours’. Peu importe où je l’entends, ce son me rappelle ce grand amour de ta vie. Il me rappelle toi, il me rappelle tous ces moments de complicité avec toi. Il me rappelle inévitablement une kyrielle de dernières fois aussi.

Nostalgie oblige: je me plais de temps à autre à réentendre du fond de ma mémoire l’un de tes fameux tabarnak avec leur inoubliable k bien appuyé. Ta voix, ce k : de fiers inimitables. C’était ton rugissement classique. Je souris à chaque fois : mon classique à moi.

Quand j’ai le cafard, je me rappelle ce soir de Noël où, en revenant de l’église, on avait couru dans la neige en famille. C’était tout simplement magique. Le froid de la neige fondait sur ce petit si grand bonheur. Le froid fond encore de la même façon à chaque fois que j’y pense.

Lorsque mon côté rebelle a besoin d’un p’tit boost ou que je veux me réactiver la force de choisir, je retourne à ce moment où tu as essayé de me faire dire pourquoi je voulais manger de la pâte à biscuits pendant le carême. Je te l’ai jamais dit mais j’avais décidé que je n’allais pas te répondre. Ta tête de cochon n’a pas eu le dernier mot cette fois-là, tu te rappelles? En passant, j’en profite pour te remercier pour l’héritage. Mieux vaut tard que jamais.

J’ai le goût de te redire aujourd’hui que c’est pas grave que tu ne sois pas resté avec moi à l’hôpital quand je me suis cassé le bras. Je ne m’en rappelais même pas. Ce que je me souviens par contre, c’est qu’au moment de l’accident, tu m’as prise dans tes bras et tu m’as amenée dans l’auto et ensuite à l’hôpital. De tout cet épisode, je me souviens de ta présence à un moment de grande vulnérabilité. Tu as fait ce qui était le mieux à ce moment-là et c’était parfait comme ça, ok?

Tu sais, ça m’arrive parfois de perdre le cap ou de manquer de courage. Je me souviens alors comment tu as vaillamment choisi d’arrêter de boire de l’alcool du jour au lendemain, sans l’aide de personne. Net, fret, sec. Angoisses, sueurs, vertiges et regrets inclus. C’est sans contredit l’un des plus beaux cadeaux que tu aies offert à ta famille. Ta détermination m’aide encore à me remettre les yeux devant les trous. Merci mille fois. Fois mille au moins.

Et quand tu me manques trop, je me rappelle ce que tu as dit de moi à ma mère, durant l’une de tes dernières journées de conscience : ‘Elle et moi, c’est comme les deux doigts de la main.’ Cette phrase est une tendresse magistrale à mon cœur à chaque fois, sans exception.

Tu sais, des fois j’ai peur d’oublier ces souvenirs qu’il me reste de toi. Pis je finis par me dire qu’au fond, on s’en fout de tous les détails. Ce qui compte, c’est qu’on ait su qu’on s’aimait beaucoup toi et moi, peu importe que les mots aient été prononcés, et en suffisance ou non. C’est ça qui compte le plus. C’est ça qui compte tout court.

4

Presque le 18 juin.

Dans moins de 2 heures, il y a 4 ans, t’as reparti ton compteur à zéro. 4 ans déjà. Comme si c’était tantôt. Pis comme si ça faisait une gigantesque éternité aussi.
Ouin, cette année, je la trouve plus difficile. Pourquoi exactement? J’sais pas trop. C’est peut-être juste parce que je m’habitue mal au fait que ‘tantôt’ pis ‘éternité’ soient devenus synonymes. Je sais pas.

Dis-moi, c’est tu aussi beau que tu pensais la Baie James? Tu sais, je regrette ne pas l’avoir vue avec toi. Tu me l’avais dit que t’aimerais y aller… J’espère que tu y es allé plus qu’une fois au moins! On aura peut-être une chance de la voir ensemble un jour, qui sait…

Quand j’étais avec toi durant ce dernier bout de vie partagée, tu m’as vue pleurer une fois. Tu voulais pas ça. Tu m’as dit : « Arrête de pleurer. Pleure pas pour moi.  » J’avais pas osé te le dire, mais c’est pour moi que je pleurais. Ben oui, égoïste de même. Parce que je savais le vide géant que t’allais laisser derrière toi. Pis ce vide-là, ben j’avais juste aucun moyen de le repousser. Même si je pleure maintenant, fais-toi s’en pas. Je vais mieux sourire après.

Des fois, je regarde une photo de toi et j’étouffe tellement je déteste la mort. Pis d’autres fois, je pense à toi et j’ai juste le goût de sourire. Ça m’arrive souvent en marchant. Pis des fois juste en mangeant ma soupe. J’y prends presqu’autant plaisir que toi. Mes bols sont jamais aussi gros que les tiens par exemple. Tu n’as jamais été détrôné à ce titre encore.

Pendant l’une de tes dernières nuits agitées, tu t’étais assis sur le bord de ton lit, perdu sur une ligne du temps qui s’effritait, et tu avais dit : « Tu m’laisses-tu partir? » Je l’sais même pas si c’est vraiment à moi que tu posais la question. Je sentais tellement ton âme souffrir dans ce corps en déconfiture… Je savais mon cœur de fille émietté de savoir qu’il y avait une seule réponse à cette maudite question. Et je t’ai dit : « Vas-y papa, tu peux partir. T’as fait ta part. » Ça été le dernier échange verbal que j’ai eu avec toi.

Même si l’issue était scellée, ton corps aura tenu suffisamment longtemps pour que tu puisses clore des chapitres mal écrits et préparer le tome où tu n’y serais plus. Tu voulais que la femme de ta vie regarde en avant sans se retourner. Inspirée de ton courage et du sien, elle l’a fait. Et je sais que d’où tu es, tu es heureux pour elle. Tu voulais aussi que ta première fille sache combien tu l’aimais et qu’elle soit heureuse elle aussi. Et bien les tempêtes ont fait leur œuvre et là, tes souhaits sont réalisés.

Un peu avant que tu partes, épuisé de voir la vie s’éterniser, t’avais dit : « J’chu bon rien pour mourir. » J’avais rien trouvé à répondre sur le coup. Aujourd’hui, je pourrais te dire que c’est pas vrai pentoute. Tu as su partir dans l’humour et la légèreté malgré tout ce que l’aura de la mort trimballe avec elle. Tu te rappelles avoir dit : « Je suis content, je suis en paix »? Ça c’est le summum. Partir quand c’est vraiment fini. J’espère être bon rienne comme toi quand ce sera mon tour.
Pis toi et moi, ben c’est toujours pareil. Les 2 doigts de la main. Merci pour les clins d’œil. Comme quand le 10 roues s’est presque accoté à mon parechoc arrière quand j’étais à une lumière rouge au volant de ma Lady Pink décapotée la semaine passée. Connexion instantanée. Inévitable. Ou quand je suis dans le spa, les yeux rivés sur les étoiles en pensant à toi, et qu’une feuille d’arbre tombe sur l’eau juste devant moi. Tu me la fais souvent celle-là. Pis j’aime ça.

Et là, à cet instant précis, pis à tout plein d’autres, je suis juste contente et fière d’être ta fille. Pis j’t’aime gros.

5

On dit parfois que le temps arrange les choses. Quand je pense à toi qui est parti, ben rien n’a changé. Ta place reste toujours aussi vacante. Ça m’fait une peine affreuse quand je dis tout haut que j’en ai pu de père moi. Toujours le même vide, même après tout ce temps…

L’urne qu’on avait choisie pour tes centres, on voulait qu’elle te ressemble. Elle était simple, solide – plus que j’aurais pensé même!! – avec un truck dessus. À part mettre carrément une photo de toi, le truck était la plus belle image pour te rendre hommage. Le parfait synonyme.

L’horloge du 5 ans est presque sonnée. Le temps de trouver un autre logement pour tes poussières était arrivé. J’ai jamais trouvé l’idée du bocal de cendres et de la tite case de verre une bonne idée. C’était ben d’trop à l’étroit pour toi là-d’dans… T’as jamais aimé ça être isolé. Mais c’est ce que tu avais choisi. On a respecté ça.

Un pot avec tes cendres dedans, ça voulait dire quand même qu’un p’tit bout de toi était encore là, ça voulait dire que tu serais là encore un peu… Ça veut aussi dire que la vie continue mais qu’elle ne sera pu jamais pareille. Que la vie est précieuse quand elle est là, pis qu’elle finit tôt ou tard par pu y être. C’est ceux qui restent qui charge l’urne de sens finalement. Comme un dernier espoir de présence, tellement en vain…

J’suis contente qu’on t’ait sorti de là. Je savais tellement pas comment j’allais réagir… Dans ma tête, je t’entendais dire : « Voyons kâlisse, crissez-moi ça dans rivière qu’on passe à autre chose! », le tout sur un ton complètement exaspéré! J’avais juste le fou-rire… Merci d’avoir enrobé ce moment-là de légèreté.

La dernière rose qu’on a mise à la rivière, elle ne voulait pas partir. J’ai l’impression que c’est toi qui la retenais… Comme si tu avais besoin d’un moment de plus avec nous. Ou peut-être juste pour nous faire savoir que t’étais là, encore, à ta façon, avec nous… Merci pour cette précieuse tendresse.

Les souvenirs qu’on a accumulés au fil des ans sont tout ce qui reste maintenant. Et tu seras pour toujours partout et nulle part à la fois. Ça fait quand même plus de sens de même. La rivière et les souvenirs : c’est ça finalement la vie éternelle.

Tsé, les fameuses pêches que tu aimais tant, j’y pense encore souvent… On s’en foutait-tu donc d’ouvrir la dernière canne du garde-manger! Je m’en foutais ben de savoir qu’après deux bouchées, la troisième resterait en plan. Je savais trop bien que des envies comme ça, t’en aurais pas des dizaines encore… Tout ce qui comptait pour moi, c’était que tu sois content, que ça te fasse plaisir. T’en as demandé 2 fois, pis après, t’étais pu là. Ton corps est resté encore un p’tit bout avec nous, mais le plus vivant de toi était déjà parti.

Même après toutes ces années, tu me manques encore tu sais? Y’a plein de questions que j’aurais dû te poser, pour te connaître plus, pour te connaître mieux… On était meilleurs pour partager des silences nous deux hein? Peut-être qu’on s’connaissait par cœur ou que le plus important, on le savait déjà de toute façon… C’est pas mal ça finalement.

Dis-moi, est-ce que je te fais rire encore des fois? Je suis sûre que je t’exaspère encore de temps en temps! On change pas une formule gagnante. Mon héritage de rebelle est toujours bien vivant. Vive le pommier et ses pommes!

T’avoir accompagné jusqu’au bout demeure à ce jour l’une des plus grandes fiertés de ma vie. T’avoir vu et senti réconcilié avec la vie juste avant de mourir est mon plus doux réconfort. Le plus puissant en fait. La plus grande leçon que ta vie m’ait enseignée : c’est pas parce que ça commence mal que ça peut pas bien finir.

Et comme tu as dit plusieurs fois avant de tirer ta révérence, on va se revoir. J’y compte beaucoup. Vraiment beaucoup.

Ah oui, pis si tu croises mon Kata quelque part, fais-lui un câlin pour moi ok?

Je t’aime Papa.

6

6 ans presque pile.

J’ai appris avec le temps à moins laisser mon cerveau revisiter les zones de vide et de peine laissées par ton départ. Je l’ai entrainé à plutôt me rappeler ton sourire et tout le beau que tu as ajouté à ma vie, tous les moments simples et silencieux qu’on a partagés ensemble. J’y arrive bien je trouve. Et je sais qu’il y a des liens qui ne meurent jamais. Comme toi et moi. Une certitude qui me fait toujours autant de bien.

Le mois dernier, j’ai choisi un livre dans ma bibliothèque. Je l’avais déjà lu mais j’avais le goût de le relire. J’y ai trouvé un signet de tes funérailles. Les bénéfices de l’entrainement du cerveau ont pris le bord et une géante vague de peine m’a frappée en pleine face. Il est gros le vide que tu as laissé… Ça fait beaucoup de temps déjà que tu es parti… J’pense que le livre, j’avais pas tant envie que ça de le lire. J’avais surtout besoin de te recroiser quelque part. Ça été là.

J’aimerais ça que tu sois encore là et que tu me racontes comment on fait pour vieillir. Comment on fait pour faire la paix avec les bouttes qu’on se pardonne mal. Comment on fait pour dire au revoir quand on a aimé autant. Me semble que ta sagesse me ferait du bien…

Quand je vais dans ma forêt, et que je vois les fameux grands pins que t’aurais rêvé de bûcher, je pense à toi et à tes yeux tout lumineux. Quand je vois fleurir les pommetiers devant chez-moi, je pense à toi aussi. Ils me rappellent immanquablement le privilège de ton dernier printemps. Quand je mange des raisins froids et croquants, je pense à toi et à comment tu les aimais tablette et tellement trop mûrs! Quand je prends une marche avec mon Lucky Chanceux, je pense à toi, à comment c’était important pour toi de marcher, d’avancer, que ça te tente ou pas. Et le plus grand des classiques : je pense inévitablement à toi quand je vois ou entends un 10 roues. Un ancrage indélébile instantané à tout ce qu’on a partagé. À toi tout court surtout.

Tout plein de ces intersections qui me ramènent à toi, à l’homme que tu as été, à mon père, et aussi à la vie qui passe tellement trop vite… Tu me disais ça des fois, que la vie passe vite. J’te croyais pas. J’le voyais pas encore. Sache que je sais à mon tour maintenant.

Des fois je me demande combien il y a de millage sur ton nouveau compteur. Je me demande si ta route est belle. Si t’es toujours en paix, comme quand t’es parti d’ici…

Je me suis fait une liste de musique de différentes d’époques et j’y ai inclus quelques-unes de tes préférées de Chantal Pary et de Renée Martel. Autant que je les trouvais quétaines et plates quand vous écoutiez ça, autant aujourd’hui je les aime. En fait, tu sais, c’est surtout toi que j’aime à travers elles.

Je n’ai plus de signes de toi depuis un bon moment. Ça me manque. Presqu’autant que tu me manques toi. T’es plus là pour me raconter ta sagesse, mais nos silences ont toujours fait plus que bien la job. J’en ai tout plein de ceux-là. Et la vie en profite pour continuer.

Je t’aime beaucoup. Même si tout change tout le temps, ben ça, ça changera jamais. Pis en plus, je sais que t’es parti en le sachant. C’est tout ce qui compte vraiment. C’est mon plus grand héritage. Mon nez et ça.

Après avoir écrit tout ça, je me suis glissée dans la nuit et mon spa pour une dose de solitude tranquille. Juste avant d’en sortir, j’ai vu tout plein de lucioles, des dizaines en fait, en quelques minutes seulement. Dans la noirceur de la nuit, il y avait tout plein de p’tites lumières devant moi, partout. En arrière aussi sûrement, mais j’me suis pas retournée pour regarder. Ça ressemble à un message de toi ça.

Sois heureux où tu es stp. Je t’aime.

10

10 ans. 10 ans!

Comme si c’était hier… Et pourtant, le temps a déjà délavé beaucoup de souvenirs. Beaucoup d’émotions aussi. Ce qui demeure constant, c’est le vide que tu as laissé, ce vide qui ne cesse de rester toujours aussi vide.

Après toutes ces années, je garde précieusement en plein coeur ton visage soulagé d’enfin tirer ta révérence, entouré de ceux qui t’ont aimé et qui t’aiment encore. C’est le moment le plus fort d’entre tous. Égal mettons avec mes fesses sur le banc passager à côté de toi dans ta cabine de truck.

Les clins d’œil de papillons qui viennent me dire bonjour sur mon balcon et le ronronnement des moteurs de truck qui s’arrêtent juste à côté ou derrière moi me rappellent la permanence de ton existence. Une présence éphémère. Une éternité immortelle.

Me reste aussi beaucoup de tristesse pour tous ces moments qui n’auront pas su être. J’aurais dû te demander de me raconter comment tu as grandi, comment tu t’es fait une place dans ton ancienne vie, comment tu avais rencontré ma mère et comment tu en étais tombé amoureux. J’aurais aimé que tu me racontes comment ça s’était passé pour toi de nous voir débarquer dans ta vie ma sœur et moi, comment tu as su dire au revoir à ta mère des années avant qu’elle parte, comment tu as réussi à faire ton deuil d’une vie écourtée par la maladie, comment tu as su partir si heureux…

Et juste là, quand je pense à toutes ces questions, je te revois sourire, serein, heureux, libre du poids des regrets et de tous les ‘j’aurais dû’… Et j’ai le goût de t’imiter.

Tu me manques, tu sais. J’espère que le bonheur que tu ressentais en partant est resté avec toi. J’espère que le millage qui s’ajoute à ton compteur est gorgé de fierté, de plaisirs et de liberté.

Papa, j’aurais une faveur à te demander… Bientôt, mon Lucky Chanceux va partir au Paradis des Chiens… Voudrais-tu stp être là pour l’aider à trouver son chemin? Juste pour pas qu’il soit tout seul? De vous savoir ensemble, même si c’est juste pour un tout petit bout, ça ferait toute la différence pour moi.

Je t’aime.

10e Anniversaire

Pour l'occasion, j'ai préparé un livret regroupant tous les textes de cet article en version pdf.

Hervé, mon père est téléchargeable gratuitement en cliquant sur l’image ci-dessous;