Pierre angulaire - Manon Castonguay - perspectives.zone

Pierre angulaire

Seule allongée dans cette nuit orageuse, le silence est rigide, humide et lourd. L’obscurité est crue.

J’entends les averses déferler à profusion, sans aucune retenue, et une vague de peine me happe sans courtoisie. Sans arrogance non plus.

Mon père est décédé il y a très bientôt 10 ans. Beaucoup de peine insomniaque là-dedans.

Cuisinons de l’autre côté de l’orage

Beaucoup d’ingrédients étaient très présents. J’ai donc choisis de les cuisiner pour en faire quelque chose de plus grand. Quelque chose de bon.

Puisque dans quelques jours, ce sera le 10e anniversaire du décès de mon père, j’ai préparé pour lui un court texte. Ce faisant, j’ai été inspirée de réunir tous les textes que j’ai écrits au fil de son départ imminent et des années qui ont suivi, jusqu’à maintenant. En son hommage, et aussi pour transcender ces rapides qui me retiennent dans leurs remous. Pour sublimer l’expérience du vide qu’il m’a laissé, la transposer sur un registre plus agréable au coeur.

J’avais le goût de faire ça pour lui, et aussi pour tous ceux qui sont restés derrière, moi et beaucoup d’autres. Restés là, sans lui. J’ai appelé ce recueil Deuil en cours.

L’émotion libre

Je me suis appliquée au montage avec le plaisir de la créatrice qui adore bouillonner d’idées. Quand tout a été complété, le moment de la relecture s’est amené. C’est exactement là que la violence de l’intensité m’a plaquée. Durement.

J’ai été transportée au coeur d’une mer agressive et tendre à la fois. C’est beaucoup de mots rassemblés pour parler d’un cheminement d’une si grande vulnérabilité. Pour ne pas dire de détresse, même si je la sais passagère. Comme un face-à-face avec l’essence même de la vie qui est tour-à-tour forte et fragile. Un face-à-face avec l’incontournable, inévitable cul-de-sac qui engouffre chaque être vivant ultimement. Un tête-à-tête avec une raflée d’émotions disparates et bouleversantes. Un condensé sauvage et brutal. BAANG.

Quoi de mieux que cette révision pour plonger âme première dans une douleur si facilement étouffée, déviée, niée, ravalée…

Et je sais que mes chairs portent ce deuil à bout de corps. En relisant ce récit des 10 dernières années, je me suis retrouvée avec une douleur cinglante aux hanches, à la hauteur de mes reins.

L’évidence explose

L’ai-je fait ce deuil?

Une seule réponse courte et franche: non. Parce que je sais juste pas comment.

Comment on apprend à être orphelin de père? Celui que j’ai successivement aimé de tout mon coeur et détesté avec la même ferveur à répétition? Et j’ai visité toutes les nuances possibles sur ce continuum montagne russe. Je me suis même établie dans quelques unes de ces variantes, parfois malgré moi. C’est laid haïr. Encore plus se l’avouer.

Alors j’ai appris à faire de la meringue avec mes oeufs cassés. Aromatisée à mes variables préférences. Survie oblige.

10 ans plus tard après ce départ vers l’infini, je comprends que beaucoup de cette peine figée devait être pleurée aujourd’hui. Un peu de cette laideur devait être démaquillée aussi.

La fin de l’orage

C’est dans l’accalmie post intensité que je choisis de retrouver mon père, entre nulle part et partout. Et il est bel et bien là. Juste là.

Si la vie n’a pas de sens inhérent d’emblée, je dirais que la mort n’en a pas non plus. Le sens, c’est quelque chose qu’on agglomère et qu’on façonne.  Parfois bien maladroitement. Bêtement.

Sens métamorphosé

Je choisis de donner à ce deuil en cours la saveur d’une quête d’affranchissements. De délivrances et de libérations. Ce qui a été a été. Gorgé d’impressions, de définition et d’aprioris. Beaucoup d’évidences paresseuses aussi. Trop d’accentuations, pas assez d’essentiel.

Je choisis de revisiter cette histoire avec la richesse de la femme que je suis devenue grâce à elle. Malgré elle. Je choisis de la décharger de ses utopies d’enfant que j’ai été. Je choisis de l’alléger en la ramenant à cet ultime fondement: aimer. Et c’est quand je m’installe sur cette fréquence que toute mon histoire se réécrit. Comme une valse d’évidences et de nécessités. Comme une révérence sincère à l’indéfinissable.

Mon père m’a enseigné, par son presque 80 ans de vie, que c’est pas parce que ça commence mal que ça peut pas bien finir. C’est le sens suprême que je prélève parmi l’éventail des possibles.

Une autre évidence s’impose

Reste juste à aimer. Toujours plus grand et toujours plus fort. 

Et l’affranchissement goûte bon. Même la douleur physique dénoue son ancrage.

M