Ces mains - Intelligences plurielles - perspectives.zone - Manon Castonguay

Ces mains

Assise à mon bureau de passions aléatoires et intermittentes, je dépose mon regard sur ces précieuses qui accomplissent quotidiennement tâche après tâche après tâches, sans broncher. Je pose mon regard attendri et curieux sur elles.

Je regarde le vieillissement se tracer sur leur visage et mon cœur cafouille…

Toutes ces veines qui signent une folle panoplie d’expériences tentées, étouffées, fantasmées, catalysées… Elles sont gorgées de souvenirs et d’histoires à raconter, à refaire et à respirer.

Elles ont été touchées par le soleil affamées d’aimer. Elles ont été touchées par la pluie déterminée à partager sa délicatesse et sa soif d’imprégner. Elles ont à maintes reprises été touchées par le vent qui se frayait un chemin entre mes doigts et mes rêves. Elles ont été touchées par l’eau de vaisselle aussi. Beaucoup moins mythique, mais nécessaire à la satisfaction et au plaisir d’un comptoir libéré.

Au fil du temps, mes mains ont touché autant son corps, vaillant et gourmand, que le mien, réservé et insatiable. Elles ont touché son visage, pour lui rappeler combien il est aimé. Elles ont aussi touché sa main, pour en drainer la douleur et calmer la peine. Elles ont touché pour aimer, pour plaire, pour sécuriser, pour ravir, pour caresser, pour taquiner, tant de fois… Jamais assez, toujours si peu.

En plus d’avoir été touchées et d’avoir touché à leur tour, elles savent écrire, cuisiner, saluer, conduire, prendre, laver et se reposer. De banalités en aventures, elles ne se dérobent que du vide.

Leur parcours me fascine et à la fois soustrait mon souffle. Oui, je suis fière d’elles, pour ce qu’elles ont été, pour ce qu’elles sont, et pour tout ce qu’elles font.

La sagesse qui se grave sur leurs cellules m’attriste néanmoins. Parce qu’elle me rappelle que je suis au milieu de quelque chose qui a débuté il y a maintenant 5 décennies. J’y retournerais d’ailleurs pour changer quelques tournants mal pris ou pas pris du tout. Pour y greffer quelques années, juste pour me pratiquer à accueillir et à accepter le bonheur que j’ai souvent repoussé du revers de l’indifférence et de l’inconscience. Du revers de la paresse et de la méfiance.

Aurais-je le privilège ou la grâce de parcourir un autre demi-siècle, à accumuler les expériences et les plaisirs? Un autre demi-siècle à débusquer des espoirs, à disperser des tendresses? Sauront-elles encore toucher et être touchées? Longtemps? Immensément?

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