Durant ces quelques dernières années, sur le versant final de ma quarantaine, j’ai littéralement senti la vie se soustraire peu à peu de mon corps.
J’avais perçu le plaisir s’évader de plus en plus de mon quotidien pour finalement constater que la paix et les rires s’étaient complètement désistés de ma vie. Mon existence avait l’allure d’un grand fleuve desséchée. Aride et amer. La lumière s’était graduellement dissipée pour ne plus se rallumer. Juste une longue nuit terne et sans âme. Sans cœur aussi.
Je me suis vendu l’idée qu’avoir 50 ans était la fin de ma plus belle portion de vie. Que le bonheur et l’accomplissement étaient des trésors du passé maintenant révolu. Sans le nommer ni l’admettre ouvertement, je préparais mon corps à la déchéance, à l’inutilité des années à venir. Je n’avais pas peur de mourir mais j’avais peur de vivre. Peur de devoir affronter de plein fouet toutes les fins qui s’alignaient devant moi, peur d’avoir mal, peur du vide qui meublait ma vie sans alternative enrichissante, nourrissante. Juste un néant rempli de deuils et de vide, une sentence à vie sans vie.
J’ai été la fille de, l’étudiante, la blonde de, l’intervenante, la mère de. Ce dernier rôle a été le plus significatif, le plus déterminant de ma vie. J’e sais pas comment j’ai appris à être une bonne mère, mais je crois l’avoir été. J’ai assumé ce rôle fièrement et humblement. Quand je pose mon regard sur les jeunes adultes que mes bébés sont devenus, ils sont sans contredit ma plus majestueuse contribution à ce monde.
J’ai voulu ces êtres uniques, entiers, autonomes. Ils le sont. Ce faisant, ma vie s’est vidée de ce rôle que je n’ai plus dans leur vie.
Je n’ai pas fait la paix avec la fin de cette époque. Le vide reste béant. Je souhaite ramener la légèreté, la paix et le bonheur dans mon quotidien, mais je me sens démunie face à la profondeur des abysses devant moi.
C’est pourtant dans ce décor ténébreux que s’est présenté Chenou. Notre rêve complètement fou, utopique même, à mon conjoint et moi. Il s’est amené dans une brume épaisse d’angoisses et d’inconnu pour ranimer un petit tison rebelle oublié dans mon intérieur désolant.
Chenou, c’est un petit véhicule récréatif. Cette carcasse de métal grise allait d’abord réveiller ma capacité à sourire. Elle allait aussi rappeler à mon cœur qu’il est possible de réaliser des rêves, même après 50 ans. Je n’y croyais pas du tout. J’étais persuadée du contraire. J’avais savamment et inconsciemment entraîné mes pensées à ne plus se projeter dans le futur, figée plutôt dans la peine et la nostalgie d’une phase exaltante de ma vie.
Avec Chenou, chez-moi n’avait plus à être un lieu fixe mais plutôt un espace qui se déplace avec moi, peu importe où je choisissais d’aller. Pour moi, il représente la liberté, l’autonomie, la découverte et l’exploration. Il représente aussi et surtout un espace de connexion et de partage avec l’homme de ma vie, avec la plus riche, la plus fertile et la plus significative perspective d’un futur heureux.
Après 13 000 km au compteur, chaque sortie est un plaisir simple et sincère, doux et puissant. Tous ces petits bonheurs ramènent l’élan de la joie franche, un souffle d’espoir, d’éternité même.
M