Mise en contexte
La vie et ses infinies sagesses.
Récemment, LA question qui m’a été la plus demandée est la classique, la banale, l’ironique, l’intemporelle, la multi-spectre, l’insouciante, la grinçante, la commune, la conviviale, la vitaminée, la moelleuse, la joviale, l’usuelle, l’instinctive «Comment ça va?».
J’avais fait déjà quelques observations à son sujet dans un passé plus ou moins lointain. C’est durant ces récents quelques jours que j’ai généreusement élargi mon expérience de la chose. Le focus sait être captivant et révélateur souvent.
En toute frugalité, je vous partage ce que j’en retire jusqu’à maintenant.
Poser une question
Les questions et moi, nous nous connaissons TRÈS bien. Nous avons une relation plutôt intense. En fait, elles font partie intégrante de qui je suis. Elles sont ma quête infinie.
Riche de ce demi-siècle d’expériences innombrables, j’ai une opinion plutôt tranchée sur le thème. Selon moi, l’élan de poser – ou de se poser – une question, devrait présupposer qu’une réponse viendra. C’est du moins comment je conçois toute question en elle-même, comment je les pose et aussi comment j’y réponds. Normalement.
Je le savais déjà, mais j’observe, lardée d’étonnement et d’un paquet d’émotions indistinctes, que tel n’est pas le cas pour tout le monde. Je m’entraîne férocement la perception sur ce coup-là. J’ai la nuance désorganisée disons.
Répondre ou ne pas répondre
Puisque toute communication nécessite 2 éléments incontournables, soit un émetteur et un récepteur, il est primordial de reconnaître qu’au départ, chacun a une intention, un intérêt, une volonté et une ouverture qui lui sont propres. La même question posée par la même personne n’aura pas toujours la même saveur nécessairement. Même chose pour la personne à qui la question est posée.
Comme dans tout échange, il y a une riche combinaison de facteurs qui influencent la teneur du «Comment ça va?». Le lieu, le timing, le contexte, le lien préexistant entre les 2 personnes, l’histoire commune, le rôle, l’état physique, l’état psychologique, le ton et l’émotion du moment sont tous des éléments qui vont influencer la question ET la réponse. Le degré d’humanité détectable lors de l’échange est ainsi inévitablement variable.
Quand les conditions gagnantes ne sont pas réunies, les mécanismes d’évitement sont une planche de salut. Le silence de même. L’humour rend de fiers services à plusieurs égards aussi.
Pour colorer mon contenu de cette observation active, j’ai répertorié quelques variantes intéressantes.
La version Polie
De façon plutôt fréquente, cette forme est dite dans un élan d’amorce de contact. C’est un genre de réflexe à saveur gentillesse d’apparence généreuse voire même affectueuse.
Une question à laquelle je pourrais avoir le goût de répondre sincèrement mais tout de même succinctement.
La version Bonne conscience
Celle-là cache souvent la maladresse de l’interlocuteur. Ou son indifférence, selon le cas, peu importe la réponse à venir. Encore là, ce sont des mots brise-silences par excellence.
Une question à laquelle je n’ai pas le goût de répondre, parce que de toute évidence, aucune réponse n’est souhaitée. Du moins, une réponse sincère. L’économie d’énergie et d’ouverture est ici magique.
La version Factuelle
Celle-ci est restreinte à un compartiment extrêmement précis. Elle pourrait en fait être exprimée en ces mots: «Ton corps va bien?». Tes émotions: non pertinentes. Alors à fond l’efficacité du créneau, réponse courte svp.
Une question à laquelle je réponds précisément et rapidement. Mon coeur est en miette mais je ne suis pas dans le bon département. J’essuie mes yeux et je réponds. Des fois, c’est après que je les essuie. Ça rend la communication plus efficace.
La version Curieuse
Celle-ci diffuse à sourire hypocrite ses vapeurs de commère. La personne qui questionne souhaite avant tout détenir une information qui sera ensuite partagée avec plus ou moins de retenue avec un entourage plus ou moins généreux.
Voilà une question qui recevra en tout respect un négligé «Ça va.», ni plus, ni moins. Les intermédiaires qui ont besoin de se dorer l’égo comprendront vite que leur quête sera sèche. À tout coup.
La version Diversion
Ici, peu importe l’intention de la personne qui prononce le «Comment ça va?», tout ce qui sera répondu fera office de pure diversion afin d’éviter la douleur de la franchise. Parce que l’ouverture n’est pas envisagée, ni ici, ni maintenant, pour de multiples raisons, plus ou moins bonnes.
Voilà une question qui sera répondue avec une savante dose d’humour innocent genre: «Ça va bien aller!» ou toute autre version de «J’ai crissement pas le goût de répondre.» Parce qu’il y a un timing ou un feeling qui résonne mal, ou juste pas du tout.
La version Moi aussi
Celle-ci a une vibe de manipulation, ou du moins l’aura d’un échange dirigé. Le but: poser une question pour se frayer un chemin vers le moment où l’on pourra enfin répondre à ce précieux «Comment ça va?» soi-même. Un exemple un peu trop intégral de «Fais aux autres ce que tu voudrais qu’on te fasse».
Voilà une question qui bousille la cible originelle complètement. Et selon l’humeur de mon écoute, ma réponse pourrait agilement esquiver son but ultime aussi.
La version Surprise
Celle-ci surprend à double sens. Elle saisit l’interlocuteur entraîné aux réponses automatiques. Cette version met en scène deux humains qui se rencontrent pour quelques secondes à l’intersection de chemins divergents.
La question a été répondue. Pas de restriction de créneau. La sincérité n’a pas besoin de longueur. Quelques secondes suffisent. La vérité crue, non-filtrée. Sans attente, sans retenue. Franchise mur-à-mur. BANG.
Le mensonge prémédité
Ayant observé, tant en question qu’en réponse, que le niveau de sincérité gravitant autour du commun «Comment ça va?» est, plus souvent qu’à son tour, d’un effacement primitif stérile, je me questionne. Pour faire changement.
Que reste-t-il d’une question qui ne souhaite pas de sincérité ni de franchise outrepassant le flasque «Ça va» classique? Que reste-t-il d’une question pour laquelle une réponse n’est pas la cible finalement? Que reste-t-il d’une réponse qui n’a plus la volonté de dire, pour un paquet de plus ou moins bonnes raisons?
Un immense vide. Un colossal gouffre. Témoin de notre humanité carencée? Périmée?
Kit de survie
Le rendez-vous du «Comment ça va?» est trop rarement consistant. Tangible. Vivant. 10 jours d’observation, ça aiguille pour élaborer une stratégie d’auto-gestion sur la question.
Voilà 4 règles qui se sont affirmées salutairement saines.
Règle No 1
Choisir. Oui, choisir avec précaution l’interlocuteur auquel répondre avec sincérité. Ça évite le raz-de-marée violent d’être seule au milieu de l’océan en pleine nuit. Ça évite de se laisser les tripes à l’air libre sur la table pour rien. Ou à terre, ça dépend. Choisir ses oreilles, c’est crucial.
Règle No 2
Doser. Selon la réceptivité, la connexion et l’ouverture. La sincérité vit à différentes profondeurs, et c’est très bien ainsi. Certains adorent faire la planche sur le dos, d’autres sont à l’aise en apnée, d’autres sont excellents en plongée, d’autres détestent l’eau. Sélectionner avec soin la profondeur de la sincérité offerte, c’est crucial pour ne pas se suffoquer l’humanité.
Règle No 3
Parfois, toute réponse est inutile. Elle n’ajoute ni information pertinente ni connexion à l’autre. Elle ne fait que combler le malaise ou le vide du moment. Un simple Bonjour est alors amplement suffisant. Ça évite les cul-de-sacs désolants et les malaises inutiles.
Règle No 4
Enfin, une dernière règle: discerner. Puisque nous sommes responsables de l’énergie que nous échangeons et que nous diffusons, il est important d’orienter et de doser cette contribution. Les détails sont-ils vraiment utiles? Ou plutôt nuisibles? Chaque situation est unique. Chaque moment l’est tout autant.
Curiosité révélatrice
[J’aurais dû commencer par là. Mais puisqu’il est rarement trop tard pour bien faire, le second meilleur moment est maintenant.]
Quoi de mieux pour se dégourdir la préconception que demander à Google qu’est-ce que ça veut dire au juste «Comment ça va?».
BOOOOM: «Locution qui fait office de salutations sous forme de question.»
C’est finalement même pas une vraie question! C’est une salutation!! Zut de flûte! Pourtant, tous les signes de la question classique étaient bel et bien là. Naïve et inculte que je suis.
Beaucoup de choses s’expliquent grâce à Google.
Sagesse de mon père
Mon père, un homme de peu de mots, disait souvent à la blague: «Pose pas de question si tu veux pas avoir de mentries.» Cette phrase à elle seule résume tout un pan de mon observation active sur la question. Avis aux interlocuteurs friands du volet salutations ou du halo chit-chat.
Ma sagesse
Peu de gens souhaitent une réponse sincère à cette fausse question. Rares sont les oreilles disponibles à accueillir ce qui est demandé. Ou semble l’être. Les oreilles, le coeur, des synonymes ici. Voilà une observation générale cruelle.
Et les raisons sont indénombrables. Parce que ça dépasse la fonction occupée, parce qu’on n’a pas le temps que ça prend pour écouter, parce que l’impuissance est trop inconfortable, parce que les émotions sont trop fortes, parce que l’intérêt n’y est pas, parce qu’on n’y peut rien de toute façon, parce qu’on n’a pas envie de sentir la fragilité de l’autre, parce qu’on n’a pas envie de réveiller la nôtre, parce que, parce que, parce que. Quasi à l’infini. Riche humanité.
Cadeau improbable
Durant la rédaction de cet article, une variante du versatile «Comment ça va?» m’a ravie le coeur sans crier gare. Je l’ai appelée Vibration augmentée.
Tout-à-coup, ces 3 mots ont revêtu un sens plus élevé. Un sens qui inspire l’altitude des vastes horizons. Reformulée, elle pourrait être: «De quelles façons tu vas bien?».
Subitement, l’incompréhension de l’automatisme froid s’éventre et s’éclaire. Brutalement, la frustration s’évapore et mute. Farouchement, le focus s’aligne ailleurs. Beaucoup plus solidement.
Voilà une question que j’honore et qui mérite gestation. Multi-riche, ultra gratifiée, elle offre en prime une légèreté que je me plais à apprivoiser.
Et même si «Comment ça va?» n’a pas l’âme d’une réelle question, la version Vibration augmentée mérite fière attention, peu importe ce qu’en dit Google. Mon improbable cadeau.
Solidairement vers la plus riche expression de nous-même,