À une femme que je n’ai pas connue
Bonjour Madame Lebel. Non, on ne se connait pas. On a jamais eu l’opportunité de se rencontrer. On s’est manquées de peu. Vous avez quitté ce monde avant que je me pointe le bout du nez.
Malgré ce rendez-vous raté, nous ne sommes pas inconnues. Il y a un trait d’union entre nous: je suis née de votre fille.
Même si la Vie nous a refusé l’opportunité de se rencontrer et de se connaître, c’est sur mon parcours à élucider l’origine de la maladie qui m’a botté le derrière avec si peu de grâce que nos routes se sont entremêlées. Ficellées. À tout faux hasard. Dans un espace d’espoir et de sens.
Alphéda, je connais si peu de vous… Que quelques histoires racontées par ma mère. Quelques maigres souvenirs de son enfance avec vous. Beaucoup de dureté de vie. Beaucoup de survie. Peu de tendresse et si peu de temps…
Ma mère dit de vous que vous étiez dévouée, toujours prête à tendre la main, à prêter secours et assistance. Votre élan a été alourdit d’une santé fragile qui a hypothéqué votre rôle de femme et de mère. Malgré tout, un coeur immense. Blessé, négligé, abusé. Un coeur qui a fait énormément avec si peu. Un corps qui a donné la vie et que la vie a tôt repris. C’était avant, bien avant d’aller au bout de cette lumière que vous portiez, à bout de corvées, à bout de bras, à bout d’âme.
Rencontre improbable
Grand-mère, à 2 reprises, dans des contextes complètement isolés, on m’a dit que vous étiez là, avec moi. Que vous m’accompagniez sur le chemin de la guérison. J’en ai été touchée. Surprise et touchée.
C’est un honneur d’accueillir votre énergie pour encourager et supporter la mienne. Merci de croire en moi, de croire en cette lumière que vous avez portée et que je porte à mon tour.
Je suis désolée que vous ayez eu à vivre et subir autant de souffrances, de négligence et d’abus. Je suis désolée que votre corps ait porté ces cicatrices toute votre vie durant. Je suis désolée que vous n’ayez pas librement choisi votre partenaire de vie. Je suis désolée des blessures, des sévices qu’il a infligés à son tour. Je suis désolée que vous ayez dû être prisonnière des traditions, cette emprise qui a sapé votre force de femme. Je suis désolée qu’on ne vous ait pas appris ni permis d’être le femme que vous étiez, dissimulée par la violence, la peur, l’obésité et la maladie.
Merci Mamie, pour tous ces combats gagnés à force de présence et de tendresse. Merci d’avoir trouvé la force d’avancer malgré le poids infini des carences, des pauvretés ignobles et des négligences cruelles. Merci d’avoir préparé le chemin pour ta fille, ma mère. Merci de lui avoir transmis un peu de ta force pour que je la reçoive à mon tour. Merci d’avoir fait de ton mieux. Merci de m’aider à me retrouver. Merci de supporter ma guérison. Merci pour ta force et ta détermination.
Merci de me rappeler d’aimer mieux ma mère. Merci de m’encourager à lui pardonner de ne pas avoir su apaiser ma solitude et mes détresses. Merci de nous permettre de grandir encore, par ta sagesse et ta présence.
Pardonne-moi d’avoir baissé les bras. Pardonne-moi d’avoir presqu’abandonné. Pardonne-moi d’avoir gardé béantes ces multiples blessures de femme. Pardonne-moi de m’être trompée et d’avoir bousillé un temps à jamais perdu. Pardonne-moi d’avoir oublié.
Upgrade
Mamie, j’aimerais serrer ta main et te dire que j’accepte de prendre le relais. J’accepte de libérer ouvertement cette lumière commune que nous portons. Je choisis de rompre avec l’héritage des femmes qui n’ont pas su être. Qui se sont étouffées sous le poids des exigences, des attentes, du devoir et du profond déni de soi.
Je réclame pour nous deux cette lumière qui a fait naître chacune de nos cellules et surtout l’étincelle au fond de notre coeur. J’appelle à nous le courage de nous choisir et de rayonner dans ce qu’il y a de plus puissant, de plus vulnérable et de plus grand en nous.
Je crie ma rage d’aimer et de vivre de cette ferveur inébranlable. Je réquisitionne toute notre sensibilité et notre féminité et nous propose de les porter en fier blason d’humanité, puissantes et infinies. Je veux porter cette lumière que nos âmes connectées partagent. Je veux illuminer nos voies et diffuser nos voix. Je veux nous offrir l’opportunité de ressentir, d’oser et d’honorer toutes ces versions de nous, pour faire naître, grandir et se déployer l’ultime réalisation de soi, grâce à toi, grâce à toutes celles avant toi, grâce à toutes celles entre nous et toutes celles après nous. Pétillantes et resplendissantes. Vivantes et vibrantes. Amoureuse et heureuse. De droit et d’audace. D’espoir et de destins.
Mamie, je tiens ta main sur mon coeur et je porte la mienne au tien. Ensemble, pavons la voie aux femmes d’avant, actuelles et futures de notre courageuse et brave lignée.
Ensemble, accomplies et sereines, élevons en sagesse et en héritage le redoutable et puissant rayonnement de notre féminité sur ce canevas d’humanité. Et même au-delà.
À nous la Lumière, la Vibrance et la Passion de la Vie osée et assumée complètement. Absolument.
Je t’aime Mamie