Réel, quel est ton arôme - Manon Castonguay - perspectives.zone

Réel, quel est ton arôme?

Le bio-médico-factuel connu

Mars 2021. Douleur aiguë du côté droit. Urgence. Seule, covid exige. Attente. Médecin. Tests. Reins enflés. Un peu de fièvre. Prises de sang. Attente. La douleur s’est estompée. Enfin. Mais la galère est lancée.

Hospitalisation requise pour poursuivre l’investigation. Le convoyeur médical m’amène ailleurs : je suis transférée vers un autre hôpital. 10 jours de tests, d’attentes, de solitude, d’angoisse ravalée. Dans l’ordre, le désordre. En solo, en duo et en équipe.

Le pré-verdict tombe : mes reins sont en détresse. Néphrostomies nécessaires. Violente perspective. Quand ton corps te lâche, il y a un paquet d’indices que t’as pas vus. Ou pas voulu voir. Ben oui.

Finalement, LE verdict tombe : lymphome de Malt à la vessie. Je vois « rare +++ » griffonné sur une requête. L’oncologue n’a jamais vu ça. Je suis spéciale de même moi. Stade du lymphome à déterminer. Nouvelle batterie de tests à repasser. Pas d’opération. Pas de guérison non plus. Chimio et radio au menu des thérapies à venir fort peut-être. Indéterminé pour le moment.

Des faits. Très froids. De la biologie essentiellement, beaucoup d’inconnus, une vision en tunnel, issue indéfinie, comme si la chance – ou la malchance – allait être ma seule alliée.

Le margino-mystico inconnu

J’ai laissé mon corps évoluer dans un environnement polluant, malsain. Je l’ai nourri de cochonneries à l’occasion, je l’ai forcé à filtrer beaucoup de déchets. Et il a fait de son mieux pour vidanger tout ça.

Beaucoup de ces déchets auxquels mon corps a été soumis venaient de mes pensées. Beaucoup d’énergie lourde, récurrente, envahissante. J’ai sous-estimé leur poids et leur impact. Un carnage.

Au fil des rides gravées sur mon front, je me suis incrustée dans la résignation. J’ai étouffé mon feu de guerrière. Je me suis soustraite de ce qui me rendait vivante. J’ai renoncé à ma fougue par usure, par habitude, par lassitude, par lâcheté.

Me voilà confrontée à ce mot qui fait peur à beaucoup de gens. Cancer. Il me fait peur à moi aussi.

Et si c’était un de ces cadeaux mal emballé que la vie me garoche en pleine face pour me sortir de ce marasme dans lequel je me suis engluée?

La cinquantaine s’est présentée dans ma vie en trainant avec elle une perspective déconfite. Un milieu de vie, déjà un sens unique bien apparent vers la mort. Peu de temps pour rêver fort encore. Des moments qui garnissent le passé, badigeonnés à outrance de nostalgie. Et la sagesse de voir que bien des bateaux sont passés sans moi. Un paquet d’émotions enracinées dans des allusions qui ne tiennent pas devant le test de la réalité.

Narratifs ping pong

Mon corps est malade. Mon corps est capable de se guérir. Je suis en paix avec la mort. Je suis en paix avec la vie. Je suis prête à mourir. Je suis prête à vivre. Je risque de mourir. Je risque de vivre.

Le mouvement du balancier est démesurément puissant. D’un extrême à l’autre, et puis toutes les nuances entre les deux évidemment.

Ce contraste est à la fois extrêmement confrontant et à la fois pourvu d’une virulente tendresse infinie. Parce que je ne peux pas ignorer la panoplie de perspectives qu’il m’est possible d’encourager. Je dois reconnaître que certaines me détruisent alors que d’autres me donnent des ailes. Certaines me condamnent alors que d’autres me font renaître, même à 50 ans. Oui, même à 50 ans.

Voilà le pouvoir que j’ai. Le pouvoir que je me donne. Immense.

M