‘Fais ce que tu peux avec ce que tu as, ce que tu sais, où tu es, maintenant.”
Depuis un bon moment, des concepts comme les niveaux de conscience, les autres dimensions, la loi de l’attraction, créer son futur, les champs d’énergie et l’invisible m’interpellent. La jonction entre les connaissances théoriques et la pratique concrète est par contre souvent plutôt floue, houleuse et difficile à concrétiser. L’inconnu sait avoir cet effet. Alors le pas le plus important devient le tout premier.
Une mauvaise expérience, ça laisse des traces. La capture des images mentale et émotive sont indélébiles. Surtout quand la douleur est impliquée. Colère, rage et impuissance en prime. Deux mauvaises expériences similaires incrustent dans les mémoires du corps un niveau de vigilance et d’alerte démesurés. C’est du moins mon expérience.
Contexte
Me voilà dans l’obligation de me retaper cette expérience, équilibre physique oblige.
Ma décision est prise: je ne soumettrai pas mon corps à la torture qu’il a subie les 2 dernières fois que j’ai dû encaisser cette intervention. Le tortionnaire sadique qui les a pratiquées est délibérément sur ma blacklist. Irrévocable.
Lorsque la gentille dame de l’hôpital m’a contactée pour ce prochain rendez-vous, j’ai pris les guides de mon destin et surtout de ma santé mentale. Je lui ai demandé d’être reçue cette fois par quelqu’un d’autre que le précédent.
Honnêtement, je m’attendais à de l’exaspération ou à un refus de ma demande. J’étais tout à fait consciente que cette requête pouvait sembler un caprice pour toute personne ignorant mon parcours..
À ma très grande surprise, elle a acquiescé à ma demande sans étonnement ni questionnement. Le stress qui s’est évanoui à cet instant précis a gravé d’abondantes rivières sur mes joues. La crue était généreuse, le soulagement profond.
La perspective d’avoir un drain me transperçant la peau et les muscles pour finalement infiltrer mon rein m’effraie encore, même si je connais le processus par cœur. Quelque chose allait pourtant être différent cette fois: l’action du sadique était neutralisée.
J’ai savouré cet allègement pendant quelques jours, le cœur et l’âme reconnaissants de voir les prémisses de ce déjà-vu s’alléger, du moins quelque peu.
Le déploiement de la peur et des doutes
LE jour s’est malgré tout amené trop vite à mon goût. En fait, j’aurais préféré qu’il ne se présente jamais… Même si j’avais l’opportunité d’être sous les soins de quelqu’un d’autre, nécessairement mieux – parce que pire est juste impossible – la peur séquestrait mon attention plus l’heure de ce rendez-vous approchait. Les rouages de l’angoisse grugeait le peu de soulagement que j’avais réussi à amasser.
“Et s’il y avait un changement de dernière minute et que finalement, c’était le sadique qui se pointait?”
“Et s’il y avait une urgence et que je me retrouvais encore sous la grippe de l’égo surdimensionné?”
“Et si finalement, ça allait aussi mal que les 2 dernières fois?”
Et là, c’est la peur viscérale qui s’installe et qui gagne ce vicieux combat. Mon focus est complètement cannibalisé.
M’y voilà.
Je suis dans un corridor anonyme d’hôpital, dans un décor comme on sait d’emblée se l’imaginer: drabe et froid. Murs écorcés, appels incessants à l’intercom avec des gens mal en point un peu partout. Un homme arrête tous les membres du personnel qui circulent pour leur demander s’il a été oublié. C’est souvent le sentiment qu’on a effectivement à attendre en tenue d’occasion peu avantageuse dans cet espace glacial et rigide.
Et tout au bout du couloir, il y a moi, figée devant la porte #7, vêtue de l’affreuse jaquette traditionnelle, bottes aux pieds, serrant le sac contenant mes vêtements et mon sac à main comme s’ils étaient les dernières choses que je pourrais enlacer de ma vie. Seule avec la peur aux trippes.
Le cerveau en haute alerte et le corps transi de froid, j’attends mon tour. Aucune activité à la porte #7.
L’état misérable dans lequel je me retrouve me sidère. Subitement, un fragment de lucidité percutante séquestre mon attention. Comme un rideau qui s’ouvre devant la scène au tout début d’un spectacle, s’ouvre à ma perception la conscience que je crée de toute pièce l’enfer que je me fais vivre présentement.
Je deviens tout à fait consciente de choisir la nature de l’expérience que je vis en ce moment même. Je génère et me fait subir ce gouffre en laissant mon mental errer dans le passé pour y dénicher tous les indices prétendant qu’il va inévitablement se répéter: douleur physique intenable, intransigeance du médecin, froideur absolue de la technologue, impuissance dévastatrice, solitude infecte, rage, colère et peine infinie…
Des caricatures amplifiées de ces instants jaillissent dans mon cerveau, se multiplient et installent un mal-être généralisé dans tout mon être.
Je tente en vain de solliciter mon raisonnement cartésien pour me sortir de cette impasse.
En ce moment, mon corps a besoin de ce drain pour sa survie biologique. Je vais subir cette intervention aujourd’hui. J’ai demandé un autre médecin. Voilà les faits.
Autrement
Et si je choisissais de faire de ce moment haute tension une expérience différente?
À cette seconde précise, je choisis de mobiliser des outils que je connais et que je n’utilise pas suffisamment. En fait, j’en ai plein mais dans un moment semblable, l’amnésie est puissante. Pourtant, cet instant semble parfait pour m’y attarder. Santé mentale exige.
Une question
Je me pose mentalement cette question désarmante et extrêmement puissante: “Mis à part ce que je pense et crois, suis-je ok?”
À elle seule, cette question a le pouvoir de désamorcer l’escalade malsaine qui s’est installée dans ma tête.
En toute sincérité et honnêteté, ma réponse à cette question ne peut être que Oui. Je suis ok.
Curieusement, cette diversion de mon attention engendre un apaisement palpable. Une brèche appréciable dans le cauchemar que je m’érigeais à coup de focus et d’attention automatisés.
La gratitude
Cette accalmie m’a permise de me rappeler que la gratitude est un antidote puissant pour supplanter les idées négatives envahissantes.
La théorie est une chose; la mise en pratique une toute autre…
Je dois déployer un effort considérable pour trouver dans mon chaos intérieur la lueur de ma reconnaissance. La nuit est épaisse et gourmande…
Je dois renverser un mouvement déjà trop bien installé pour une toute nouvelle direction. L’effort initial à déployer est colossal.
“Je suis reconnaissante d’avoir pu demander un autre médecin.”
“Je suis contente d’être ici en sécurité présentement.”
Ces pensées sont mécaniques. Peu convaincues et peu convaincantes. Une pâle tentative d’installer dans mon cerveau quelque chose de plus lumineux que mon souvenir de 2 expériences passées derrière la fameuse porte #7. Le cœur n’y est pas du tout. L’intention y est, pâle et limitée, mais j’ai le cœur enfargé ailleurs, bien loin du moment présent. Il a les cellules imbibées de peur compulsive.
“Je suis chanceuse d’avoir été accompagnée ici par Denys aujourd’hui.”
“J’aime mon chien Lucky.”
“Je suis privilégiée de partager sa vie depuis 14 ans déjà.”
“Je suis la mère de 2 magnifiques âmes que j’aime très fort.”
Et là, à chaque phrase que je génère dans mon cerveau, je sens une puissante émotion de reconnaissance s’installer tout doucement. La sincérité de cette reconnaissance me solidifie et s’amplifie.
J’entrecoupe ces affirmations par l’irremplaçable question initiale: “Mis à part ce que je pense et crois, suis-je ok?” Et cette ancre me ramène à flot, enracinée dans un vertigineux lâcher-prise salvateur.
Je perçois clairement que la tension dans mon corps s’est résorbée et je ressens même quelque chose que j’ose appeler de la paix. Et voilà qu’une autre clé se présente à ma mémoire.
Contrer le poids de la solitude
Dans un moment semblable, la solitude pèse extrêmement lourd et j’ai l’idée d’appeler mon clan. Directement de l’au-delà.
D’abord il y a mon père qui se pointe, avec mon Kata et Renoir. Ensuite, il y a Jack et tous mes amis poilus qui ont partagé ma vie à un moment ou à un autre. Il y a Mimi, Arture, Bandit, Pitou, Miquette, Minou… Ils sont tous là, avec moi. Je sens leur réconfort m’enlacer avec une touchante tendresse. Je ne suis plus toute seule dans le corridor quelconque de la porte #7.
Respire!
C’est enveloppée de cette présence invisible que je pense à cet exercice de respiration: 30 respirations profondes consécutives. Pour m’aider à garder le compte, j’ai développé une technique: je commence par une séquence de 10 respirations en 5 temps, suivie de 10 respiration en 6 temps et finalement 10 respirations en 7 temps. Le calme et la paix s’installent patiemment dans ma tête, mon cœur et tout mon corps. je suis ok.
La quiétude et la maîtrise de moi-même que je ressens à ce moment précis me fascinent. Je suis exactement la même femme maigrichonne portant l’affreuse jaquette verte avec ses bottes d’hiver assise dans un corridor anonyme d’un hôpital quelconque. Le mal-être s’est pourtant estompé.
Je n’oserais pas dire que je suis passée de l’enfer au paradis, mais j’affirme certainement que je suis sortie de l’enfer pour me prélasser dans un jardin de campagne. Je suis bouche-bée devant cette transformation. MA création.
C’est avec plus d’une heure de retard que j’engage mon cerveau et mon cœur dans cette quête de focus gorgé de gratitude pour maintenir fleuri mon jardin.
La fin de l’attente
Et ce qui devait arriver arriva: la porte #7 s’ouvre au son d’une douce voix féminine, corps et sourire dissimulés sous protection aseptisée, qui pourfend le silence relatif et mon quasi calme: “Madame Manon Castonguay?”
“Mis à part ce que je pense et crois, suis-je ok?” La réponse est inlassablement oui.
Alors je me lève comme si l’on m’avait piqué une fesse, serrant mes maigres possessions, symboles futiles de sécurité et de connu, et j’entre dans la salle où sera pratiqué l’intervention.
Mon coeur s’affole à la vue de la table et de tout l’équipement médical qui orne l’espace. Presque simultanément, la douceur et le calme de la voix de la jeune femme qui m’explique ce qui s’en vient a le pouvoir magique d’une caresse, d’une tendresse gratuite et généreuse. Du même élan, elle me confirme le nom du médecin qui procèdera à l’intervention et CE N’EST PAS le satique! Mon soulagement s’élève d’un heureux cran instantanément.
“À part ce que tu penses et crois, es-tu ok Manon?” Et bien oui, encore une fois.
Je m’allonge donc sur la table sur le ventre, une main sur mon cœur, une main à ma gorge, et je ferme les yeux.
J’entends la technologue préparer des instruments. Viens ensuite le moment de la désinfection de ma peau et l’installation du champ opératoire. Je l’entends ensuite appeler le médecin puisque tout est maintenant en place. pour la procédure.
Il entre dans la pièce d’un pas empressé et sûr de lui. Il me dit: “Bonjour Madame Castonguay!” Rien à faire, je ne m’habitue pas à me faire appeler comme ça. Effet de dépersonnification instantané. Je réponds à ses salutations succinctement, la gorge tordue d’angoisse.
Il enchaîne ensuite pour me demander si c’est la première fois que je reçois un changement de drain. La réponse c’est non, et je retiens le pur sarcasme d’un “malheureusement” qui me brûle les lèvres et le souvenir.
Il poursuit en me demandant: “Est-ce que ça se passe bien habituellement?” Et là, mon surmoi s’active en overdrive. J’aurais tellement envie de lui dire que j’ai malheureusement été traitée par un immoral sadique les 2 fois précédentes et que le goût plus qu’amer qu’il m’a laissé m’a traumatisée… Efficacité et pudeur obligent, j’y suis allée avec une version très épurée: “Pas nécessairement.” Surpris, il renchérit: “Ça vous fait mal?” J’ai alors articulé un solitaire oui, la gorge nouée de ressentiment et de peur que l’expérience se renouvelle.
Rien d’autre n’a été ajouté de part et d’autre. Juste le bruit des instruments médicaux qui sont manipulés dans mon dos et une forte chaleur analgésique sur ma peau.
“À part ce que tu penses et crois, es-tu ok?” Toujours oui.
Et je choisis délibérément de focaliser mon attention sur mon clan, pour faire diversion aux sensations ressenties dans mon corps physique durant l’intervention. Kata est couché dans mon cou, Minou sur ma tête, Mimi sur mon dos en poule, Renoir debout les pattes devant sur la table, Jack qui me tient la main et mon père juste là, qui me sourit avec une douceur et une affection que j’ai rarement ressenties.
“C’est terminé, le nouveau drain est en place.”
Je suis bouleversée. Un raz-de-marée de soulagement me submerge complètement.
Je remercie le médecin 2 fois plutôt qu’une. J’aurais aimé lui partager toute ma reconnaissance pour son professionnalisme et surtout sa considération à mon égard. Je n’étais pas un insignifiant paquet de cellules étalées sur sa table à me faire transpercer un organe. J’étais un être humain qui avait besoin de son aide. Et je l’ai reçue, enrobée d’une telle gentillesse que j’en ai pleuré.
Quand le tout a été complété pour moi, j’ai remercié la technologue de son accueil et de sa gentillesse, j’’ai récupéré mon sac et je me suis dirigée à la salle de déshabillage pour éclater en sanglots, relâchant la tension jalousement hébergée durant toute cette interminable séquence.
Je suis médusée par cette expérience. Complètement.
J’ai fait ce que j’ai pu avec ce que j’avais là où j’étais.