J’ai appris très tôt dans la vie que le soutien émotif était une denrée rare. Très rare. J’ai rapidement compris que pour survivre, l’auto-suffisance allait être nécessaire. Incontournable.
Phase 1
Alors j’ai appris à devenir ma meilleure amie. J’ai appris à être là pour moi, peu importe les circonstances. Le bordel pouvait pogner autour, moi je savais comment me protéger. Je savais comment naviguer ça. J’ai appris à prendre soin de moi. Et j’ai appris que je pouvais y arriver, même seule.
Et j’y suis très bien arrivée. Tellement qu’on me reprochait mon indépendance et mon autonomie. Je m’en foutais royalement. Quand t’as juste des reproches sans alternative, ta crédibilité est instantanément nulle à mes yeux. Je savais la valeur de ces acquis. J’en connaissais leur validité absolue.
Alors rien n’a perturbé ma certitude. J’ai foncé dans ma vie tête première. Parce que c’est ce que j’avais choisi pour moi. Pour mon équilibre. Pour mon bonheur.
Phase 2
Et même si j’ai innocemment présupposé que j’allais être ma meilleure amie pour toujours, que ces qualités allaient demeurer mes fondations pour la vie, j’ai dû me refaire les dents sur la même crue réalité quand je suis partie vivre à Montréal.
Une relation, ça se nourrit sinon ça meurt. Même la relation à soi-même. Elle plus que toutes les autres peut-être.
Alors même si c’était exactement ce que j’avais choisi, de vivre ailleurs, loin, j’avais négligé depuis un long moment d’être là pour moi. J’avais oublié comment prendre soin de moi. Comment m’encourager. Comment m’accueillir dans le beau ET dans le laid. Comme si j’avais tout oublié. Ou jamais su.
Alors dans la solitude intégrale et l’anonymat parfait, je m’y suis remise, flirtant savamment avec les profondeurs et les limites de ma santé mentale. Et bien sûr que j’y suis arrivée! J’ai réintégré en toute priorité mon autonomie et mon indépendance dans chaque aspect de ma vie, sans aucune exception. C’était MA recette. Pas la seule possible, mais c’était la mienne.
J’aurais pu choisir le terme «réactiver» au lieu de «réintégrer», parce que tout était encore là. Juste engourdi par l’aisance de la présence de l’autre, détourné par la priorisation des autres, ankylosé par l’habitude de la sécurité et du connu.
Je m’étais alors fait la promesse de ne plus m’y perdre. Le genre de promesse qu’on se fait avec la plus profonde sincérité, sans l’enraciner consciemment concrètement nulle part. Retour à la case départ prémédité.
Phase 3
Laisser aux autres la vocation de nous rendre heureux est une affreuse irresponsabilité. C’est pourtant dans cette vase que je me suis empêtrée. Encore. Par paresse, par habitude, par négligence, par désintérêt, par apathie, par indifférence, par usure ou par essoufflement. Plus ET que OU en fait. Parce que le bonheur qui vient des autres est généreux, ample et addictif. À en oublier ma propre responsabilité d’auto-suffisance.
Et un bon matin, les pieds dans l’épreuve, le bonheur arrête de s’amener d’ailleurs. Et il arrête de s’amener tout court parce que depuis trop longtemps, j’ai arrêté de le susciter moi-même. Même détresse, même vide, même désolation, même colère. Tout ça, encore une fois.
Jamais 2 sans 3 comme on dit? Et bien j’y suis, à la 3e.
J’ai remis à mon horaire des moments «Manon». Quotidiennement. J’ai bougé mon nom sur ma propre liste de priorités. Je m’offre des tapes dans le dos. De la tendresse aussi. Je fais le ménage dans mes pensées, dans mes perspectives, dans mes attentes et dans mes actions. J’en avais du vieux stock. J’en ai encore. L’attachement, c’est pas uniforme.
Quand je dépose ma tête sur l’oreiller le soir, des fois j’ai le motton pogné dans la gorge. Des fois le barrage cède et je pleure. Mais souvent, je constate que j’étais due pour ce coup de pied au cul et ce retour à l’essentiel. Mon essentiel.